Impossible de passer à côté de China Miéville en littérature de l’Imaginaire aujourd’hui. Cet auteur iconoclaste a su construire au fil de ses romans une autre façon de raconter des histoires. Chacun de ses livres est une nouvelle pierre à ce que certains ont déjà baptisé la Weird Fantasy.
Il reste difficile de parler d’un livre du Monsieur tant il foisonne d’idées nouvelles et de trouvailles géniales. D’autant qu’il distille au fil des pages un pessimisme humaniste qui donne une dimension supplémentaire à son oeuvre. Rassurez-vous, le pessimisme est discret, tapi dans la noirceur de ses personnages et de son univers. Son humanisme, en revanche, est parfois plus grandiloquent et rassurant.
Toujours est-il qu’on ressort changé de la lecture d’un Miéville.
Mais c’est une lecture exigeante. Un peu comme si l’on entrait dans une cathédrale gothique et que l’on se mette à détailler chacune des gargouilles et chacun des recoins de l’édifice. On ne peut nier la grandeur de l’ouvrage mais l’oeil neuf peut se lasser de tant d’encorbellements.
D’autant que Le Concile de Fer se fait politique. On sait que l’auteur a des idées bien arrêtées, mais elles restaient discrètes jusque-là. Avec ce roman elles éclatent au grand jour et malheureusement, il semblerait, d’après l’accueil mitigé, que cela en ait rebuté plus d’un. Pourtant la lecture du roman, à la lumière des récentes révolutions, est la preuve du talent de China Miéville de savoir transposer des problématiques actuelles dans un récit de fiction.
Quand le Temps aura fait le ménage de la littérature marchande et de la Fantasy opportuniste, il n’en restera que peu debout, à être réédités, et Miéville devrait en faire partie pour les mêmes raisons qu’il est aujourd’hui critiqué : un auteur généreux qui crée, façonne, pétrie son histoire foisonnante dans un univers “trop” riche et singulier.
De quoi ça parle ?
Étiquetons le machin : de l’urban weird steam fantasy. C’est plus clair ? Non, je sais.
Le Concile de Fer est, après Perdido Street Station et Les Scarifiés, une nouvelle histoire se passant dans le Bas-Lag, un monde où les Humains côtoient des Êtres cactus, batraciens ou coléoptères. Bizarre ? Et pourtant cela fonctionne. Parce que tout ce brouillon de culture se retrouve dans une cité-état gargantuesque : Nouvelle-Crobuzon. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler les mythiques Ankh-Morpok ou la Londres victorienne. D’autant que l’une des races les plus intéressantes de ce bestiaire miévillain reste les Recrées. Ces humains qui ont commis un crime et que l’on a puni en les modifiant chirurgicalement de façon monstrueuse. A l’un on greffe des tentacules inutiles et dégradants, à l’autre un marteau-piqueur à vapeur.
Il est évident qu’une société libérale et autoritaire où pullulent anarchistes et indignés, ne peut tolérer les débordements. Et c’est d’une révolte que né le Concile de Fer. Ce train gigantesque qui fait la fierté de Nouvelle-Crobuzon et qui ouvre son chemin sur la surface du Bas-Lag répandant la culture mais surtout le commerce crobuzonnais. Mais dont les ouvriers vont faire sécession et s’enfuir avec la gigantesque machine, chaque rail posé étant récupéré après son passage pour être reposé devant.
Cela crée une ville en perpétuel déplacement où se concentrent tous les rebuts d’une société qui les exploitaient. Ce genre d’idée n’est pas nouvelle. Les lecteurs assidus d’Imaginaire se souviennent sûrement du train-univers du Monde inverti du génial Christopher Priest. Mais ici, Miéville en fait quelque chose de neuf, porteur d’espoir et de drames.
Si on ne peut et doit en dire beaucoup plus, il faut quand même évoquer l’un des personnages de cette oeuvre chorale qui illustre parfaitement le talent de l’auteur : Judas Bezalle, golémiste. Par son apprentissage lent et laborieux, on le voit d’abord manipuler des petits éléments pour former des sculptures vivantes, puis progresser, grâce au feu intérieur qui l’anime (sa révolte), et créer de gigantesques golems. Ces créatures sont faites de rails, de poutres, de terre et de cadavres, qui s’abattent sur une armée crobuzonnaise aux montures recrées, appuyée par des dirigeables dévastateurs.
Si le tableau ne vous fait pas rêver, c’est que vous êtes un(e) client(e) difficile.
Des regrets ?
La lenteur et longueur du pavé pourrait en rebuter plus d’un. Pour un drogué d’Imaginaire, la dose est idéale pour calmer les plus importants manques.
Au passage, une petite égratignure pour l’éditeur de la version poche : mais où sont-ils allés chercher une couverture aussi moche ? Par respect pour l’illustrateur je ne vais pas vomir, mais on dirait véritablement que Pocket a fait tout ce qu’il pouvait pour que le livre ne se vende pas. Un véritable repoussoir.
C’est pour vous prévenir, dans la longue file d’attente de la caisse de votre libraire, ne regardez pas le livre, vous seriez capable de le reposer tant il est vilain. Dites-vous que sous ces oripeaux à faire grimacer toute la gent féminine, se cache un trésor à nulle autre pareil.